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25 avril 2016

Lettre à France Filière Pêche – Demande de transparence

A l’attention de Gérard Higuinen, Président de France Filière Pêche et de Madame Emmanuelle Sauvion-Thiercelin, Déléguée générale de France Filière Pêche

Lettre adressée en recommandé avec accusé de réception et publiée sur le site de BLOOM

Paris, le 25 avril 2016

Objet : demande de communication transparente et urgente des éléments suivants :
1) La gouvernance et les financements du fonds « France Filière Pêche » ;
2) Le coût total de la tournée de conférences  de M. Ray Hilborn à Bruxelles et en France du 27/04 au 4/05 2016 ;
3) La déclaration des conflits d’intérêts de M. Ray Hilborn et la publication exhaustive de ses financeurs.

Chère Madame, cher Monsieur,

Nous avons été récemment contactés par le cabinet Equalogy qui organise pour le compte de « France Filière Pêche » une série de conférences de M. Ray Hilborn, professeur de sciences halieutiques à l’Université de Washington (Seattle, Etats-Unis).

La tournée de M. Hilborn commence par une conférence au Parlement européen le 27 avril 2016 à Bruxelles, intitulée « Durabilité des pêches : mythes et réalités » et parrainée par le député Les Républicains M. Alain Cadec. Elle s’achève à Paris, après un passage en Bretagne,[1] avec deux conférences : la première à l’Institut océanographique le 3 mai 2016 (« Le monde de la pêche face à de nouveaux défis : environnementaux, sociaux et économiques ») et la seconde à la Maison de la Chimie, en face de l’Assemblée nationale, le 4 mai au matin (« Surpêche : mythes et réalités »). Cette dernière conférence, placée sous le signe du scepticisme quant à la surexploitation mondiale des ressources marines, sera présidée par Mme Annick Billon, sénatrice UDI de la Vendée et Mme Annick Le Loch, députée PS du Finistère.

Une somme incalculable de publications internationales dans des revues scientifiques à comités de lecture dresse un portrait alarmant de l’état de santé de l’océan, très éloigné de la vision avancée par M. Hilborn, qui, à l’image d’une poignée de climato-sceptiques ayant œuvré à semer le doute pour retarder la prise de décision publique sur le climat et empêcher la transition de nos sociétés vers un modèle durable, questionne publiquement la véracité des phénomènes de surpêche et conteste les impacts des méthodes de pêche reconnues comme les plus destructrices. Le blog personnel de M. Hilborn (https://rayhblog.wordpress.com/myths/), un autre auquel il contribue (http://cfooduw.org) ou son groupe de travail Trawling Practices (https://trawlingpractices.wordpress.com) clament par exemple :

  • Que le tableau dressé par de nombreux scientifiques quant à l’état de surexploitation de l’océan n’est qu’un mythe ;
  • Que la surpêche n’a pas mené à une érosion du réseau trophique et à la surexploitation sévère de nombreux grands prédateurs (thons, requins…) ;
  • Que l’impact du chalut de fond sur les écosystèmes marins est en réalité marginal.

Ce chercheur influence le débat sur l’orientation de la pêche mondiale sur la base de faits contestables et contestés, à propos desquels il est d’ailleurs indispensable de noter qu’il se contredit lui-même : par exemple, la publication la plus récente qu’il ait cosignée démontre que si rien n’est fait (cas de figure du « business as usual »), les captures mondiales vont continuer de diminuer inexorablement, tout comme la biomasse totale de poisson présente dans l’océan.[2]

De fait, le bilan scientifique de la santé de l’océan est excessivement préoccupant pour les pêcheurs, pour la stabilité socio-économique des communautés littorales ainsi que pour les populations de poissons et les milieux marins. Lorsque la situation s’améliorera enfin, les ONG environnementales seront les premières à se réjouir. Mais nous sommes encore loin d’un scénario global rassurant et faire croire au monde qu’il n’y a nul besoin de s’inquiéter est irresponsable. Or, M. Hilborn ne se contente pas de créer du doute là où il n’y en a malheureusement plus, il attaque aussi violemment les nombreux scientifiques qui montrent de façon rationnelle et objective que les captures de poissons s’effondrent au niveau mondial et que la tendance globale demeure au déclin. M. Hilborn accuse ces chercheurs d’être victimes d’une distorsion de perception les empêchant de « regarder la réalité en face ».[3]  Selon lui, ces scientifiques croiraient à la surexploitation des ressources marines comme à une religion.[4]

En outre, M. Hilborn et ses alliés attaquent régulièrement la probité des chercheurs qui osent nommer la réalité de la surexploitation des ressources marines – n’en déplaise à quelques industriels puissants – au titre que ces chercheurs sont en partie financés par des ONG ou que les journaux scientifiques ne cherchent qu’à s’attirer des lecteurs en faisant parler d’eux dans les médias.[5] Or, ces chercheurs ont au moins l’honnêteté de déclarer leurs sources de financement en toute transparence, ce qui n’est pas le cas de M. Hilborn. Les implications ne sont pas les mêmes lorsqu’un travail de recherche est financé par une ONG qui œuvre dans l’intérêt général à améliorer la gouvernance de notre patrimoine commun ou par un groupe industriel qui a un intérêt financier direct à accéder à la ressource et dont l’activité économique est conditionnée par des règlementations publiques. Nous touchons ici à un aspect essentiel de ce qu’implique cette tournée de conférences sur nos territoires : que M. Hilborn se soustraie le plus souvent aux pratiques américaines de déclaration de conflits d’intérêts est une chose, mais qu’il en fasse de même lors de son passage en Europe et en France, avec le soutien implicite de la grande distribution et des élus, est inadmissible.

La France et l’Union européenne sont à un tournant crucial de leur vie démocratique. Les nombreuses révélations autour de scandales financiers ont usé la patience des citoyens et entamé jusqu’à la corde la confiance que ceux-ci accordaient aux pouvoirs publics, assiégés par les lobbies industriels agissant contre l’intérêt général. Or, la tournée de conférences de M. Hilborn ne ressemble à rien d’autre qu’à une énième tentative d’influencer la décision publique dans un sens qui avantage la pêche industrielle aux dépens de la petite pêche et des pays en développement. L’enjeu de nos sociétés est de faire preuve d’une transparence irréprochable et de s’assurer que les décisions relevant du bien commun sont fondées sur des données objectives, qui ne sont pas pilotées par des intérêts sectoriels.

Etant donné le contexte décrit ci-dessus, vous comprendrez l’importance capitale et l’urgence à bien vouloir indiquer en toute transparence la liste exhaustive des financeurs de M. Hilborn, qu’il s’agisse des bailleurs de fonds de sa recherche universitaire ou des clients pour lesquels il agit en tant que consultant rémunéré. Faire appel à un chercheur connu comme négationniste de la surpêche pose à notre sens un problème de confiance publique  entre la grande distribution et les citoyens. Le choix de « France Filière Pêche » de financer une tournée scientifique s’apparentant à une entreprise de lobbying auprès des décideurs et de l’opinion publique engage également la réputation des élus se portant caution de ces conférences. Certains ignorent peut-être les tenants et les aboutissants des positions de M. Hilborn.

Par ailleurs, le secteur de la pêche française dans son ensemble est en droit de questionner les choix du fonds « France Filière pêche ». Cette association a été créée en concertation avec la grande distribution française[6] en mars 2010 pour remplacer la « taxe poisson ». Celle-ci avait été décrétée autoritairement par le ministre de l’Agriculture et de la Pêche de l’époque, Michel Barnier, afin de financer les subventions promises à la pêche française alors en difficulté en raison de la hausse des prix du gasoil.[7] Depuis, bien que sa mission première est de « développer une pêche plus durable et responsable »,[8] France Filière Pêche a fait le choix très clair de soutenir en priorité un métier : celui du chalut de fond. Son président Gérard Higuinen déclarait en effet dans Le Marin que France Filière Pêche avait aidé « 1 750 bateaux représentant 85 % de la flotte chalutière associés à [la] marque »,[9] alors que ce segment ne représente qu’un quart de la flotte française.[10]

Ce positionnement de France Filière Pêche soulève plusieurs interrogations :

  • Est-ce en agissant ainsi que la grande distribution française compte apporter sa pierre à l’édifice de la transition écologique  du secteur de la pêche et de la lutte contre le réchauffement climatique ?
  • Est-ce avec de tels choix qu’elle compte être capable de répondre à la demande des citoyens de consommer des produits de la mer écologiquement durables et socialement responsables ?
  • Sur quels critères objectifs la grande distribution française décide-t-elle de privilégier un engin au détriment des autres métiers ?

Nous vous demandons donc de clarifier les choses en rendant les informations ci-dessous disponibles publiquement :

  • Qui siège au conseil d’administration de France Filière Pêche ? Le site ne fournit aucune information.
  • Quel est votre budget détaillé et à quelles fins est-il utilisé ?
  • Quelle est la part de la contribution de la grande distribution dans le budget de France Filière Pêche ?
  • Pourquoi les comptes ne sont-ils pas accessibles publiquement ? Merci par avance d’y remédier.
  • Qui décide de la ventilation des millions d’euros qui sont drainés de la grande distribution vers des méthodes de pêche parmi les plus impactantes chaque année ?
  • Pourquoi les pêcheurs artisans pratiquant d’autres méthodes de pêche ne sont-ils pas consultés et financés ?

Par ailleurs, les pêcheurs français, l’opinion publique, les médias, les citoyens, nos élus et les clients réguliers des enseignes de la grande distribution sont en droit de connaître la totalité du coût de la tournée européenne de M. Hilborn que France Filière Pêche finance.

La communication de ces éléments relève d’une exigence de transparence que la grande distribution française, par le truchement de France Filière Pêche, doit à l’ensemble des décideurs européens et de l’opinion publique.

En raison du contexte décrit ci-dessus, nous apprécierons particulièrement le traitement diligent de notre requête afin que nous puissions disposer des éléments demandés avant le début de la tournée de M. Hilborn.

Dans l’attente d’une réponse rapide et complète de votre part, je vous prie d’agréer, au nom de toute l’équipe de BLOOM, mes plus sincères salutations.

Très cordialement,

Claire Nouvian

Fondatrice et Présidente de BLOOM

[1] Intervention le vendredi 29 avril à l’AgroCampus de Rennes sur le thème « Pêches durables, où en sommes-nous ? » et le 2 mai à l’université de Bretagne Sud à Lorient sur le thème « De la nécessité de partager les connaissances entre professionnels et scientifiques pour gérer les pêcheries ».

[2] Costello et al. (2016) Global fishery prospects under contrasting management regimes. PNAS.

[3] Hilborn (2006) Faith-based fisheries. Fisheries 31(11): 554-555.

[4] M. Hilborn utilise le terme de « faith-based », c’est-à-dire d’une science qu’il décrit comme étant basée sur la foi.

[5] Ibid. Hilborn (2006).

[6] Par le truchement de la Fédération du commerce et de la distribution (regroupant notamment Carrefour, Casino, Auchan, Système U et Metro), d’Intermarché et de Leclerc (www.francefilierepeche.fr/organisation-et-missions).

[7] www.letelegramme.fr/ig/generales/economie/peche-a-qui-profite-la-fin-de-la-taxe-poisson-11-02-2012-1597516.php.

[8] www.francefilierepeche.fr/presentation-de-france-filiere-peche.

[9] « Pavillon France. Une nouvelle offensive lancée cet été ». Edition du 22 mai 2013 : www.lemarin.fr/articles/detail/items/pavillon-france-une-nouvelle-offensive-lancee-cet-ete.html.

[10] http://sih.ifremer.fr/Publications/Syntheses/Synthese-des-flottilles-de-peche/2011.

 

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