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08 juillet 2014

Décryptage des rapports de l’IFREMER sur les activités de chalutage profond des navires français

Analyse des rapports commandités par la DPMA auprès de l’IFREMER (saisine 14-6494) et rendus publics le 2 juillet 2014[1]

Le 2 juillet 2014, l’Ifremer a rendu publiques des données sur les activités de pêche profonde en France que les ONG réclamaient depuis le Grenelle de la Mer en 2009. Avec le lancement en juillet 2012 de la réforme du règlement encadrant la pêche en eaux profondes en Europe, ces données étaient devenues indispensables pour éclairer le débat public sur les implications qu’aurait l’une des mesures phare de la proposition législative de la Commission européenne : l’interdiction du chalutage profond.

Ces documents ont permis d’élucider des points importants et d’établir les faits qui suivent.

Ils ont donné lieu à un communiqué de presse des ONG.

ANALYSE DES ACTIVITES DES NAVIRES PAR STRATE BATHYMETRIQUE

Document de référence : Analyse de l’activité de chalutage de fond au-delà de l’isobathe 200 mètres de 2010 à 2012. Patrick Berthou, Eric Bégot, Alain Biseau. Avril 2014. Saisine de la DPMA n° 14-6464.

►   Très peu de chalutiers pêchent au-delà de 200 mètres de profondeur

Seuls 85 chalutiers ont eu des activités de pêche au-delà de 200 m. de profondeur en 2012. La moitié d’entre eux (42 sur 85) avait passé moins de 10% de leur temps au-delà de 200 m de profondeur. 

►   Un nombre infime de chalutiers pêchent au-delà de 600 mètres de profondeur

En 2012, 35 chalutiers avaient fréquenté des profondeurs supérieures à 600 mètres, mais 23 sur 35 les avaient fréquentées moins de 10% de leur temps de pêche. Seuls 12 navires avaient passé plus de 10% de leur temps à plus de 600 m et 6 plus de 50% de leur temps. 

►   Encore moins de navires pêchent au-delà de 800 mètres de profondeur

Seuls 26 navires avaient fréquenté les profondeurs de plus de 800 m en 2012 et seulement 10 d’entre eux les avaient fréquentées plus de 10% de leur temps :

11 d’entre eux les avaient fréquentées moins de 1% de leur temps.

5 d’entre eux les avaient fréquentées entre 1 et 10% de leur temps.

8 d’entre eux les avaient fréquentées entre 10 et 40% de leur temps.

Seuls 2 navires les avaient fréquentées entre 40 et 60% de leur temps.

Aucun navire n’avait passé plus de 60% de son temps au-delà de 800 m de profondeur.

►   Les navires pêchent de moins en moins profondément

Entre 2010 et 2012 le temps de pêche au chalut de fond des navires de Boulogne-sur-Mer, du Guilvinec, de Lorient et Concarneau au-delà de 200 mètres a diminué de 48 à 28 % au-delà de 400 mètres de profondeur mais a augmenté de 24% entre 300 et 400 mètres.

►   C’est sur les navires de Lorient que l’impact serait le plus important

L’analyse confirme que ce sont les navires de Lorient qui ont la plus grande activité de pêche au chalut de fond au-delà de 200m. Ils consacrent même entre 50 et 60% de leur activité totale à des profondeurs supérieures à 400m. L’effort consenti par Intermarché de limiter à partir de janvier 2015 ses activités de pêche à 800 mètres est bien réel et constitue un bon début vers l’objectif d’une limitation à 600 mètres de profondeur.

►   100 navires ont débarqué au moins une fois 100 kg d’espèces profondes sans pêcher au-delà de 400 m.

L’Ifremer a retenu par « espèces profondes » la liste proposée par la Commission européenne sans inclure la lingue et le congre qui ont été retirés du futur règlement par un amendement du Parlement européen.

Cette donnée confirme que les espèces dites « profondes » peuvent occasionnellement fréquenter les eaux plus proches de la surface et y être capturées par des navires sans que ceux-ci soient des spécialistes des espèces profondes. A noter tout de même que nous sommes très loin des 400 navires évoqués par le Comité national des pêches maritimes[2].

Cette information montre surtout qu’une réglementation de la pêche profonde qui serait uniquement basée sur une liste d’espèces pourrait avoir un impact sur un nombre bien plus important de navires si le paramètre de la profondeur n’est pas également retenu dans le règlement pour définir les pêcheries dites « profondes ».

ANALYSE DES CAPTURES DES CHALUTIERS PROFONDS

Document de référence : Analyse des captures du métier « chalutiers à espèces profondes en Ouest Ecosse ». Anne-Sophie Cornou, Alain Biseau. Mars 2014. Saisine de la DPMA n° 14-6464.

Les ONG réclament depuis 2009 des informations détaillées sur les espèces capturées par les chalutiers. Maintenant que les données d’observateurs sont enfin publiques, les ONG comprennent pourquoi elles ont été si longtemps masquées. Il apparaît que des espèces menacées d’extinction figurent parmi les prises accessoires les plus importantes des chalutiers français ! Ainsi le squale chagrin de l’Atlantique[3], une espèce en danger d’extinction dans l’Atlantique Nord-Est est la 10ème espèce la plus capturée par les chalutiers en volume et la 3ème espèce la plus rejetée parmi les prises « accessoires » des navires.

Les données importantes qui ressortent de ce document sont :

Pour l’année 2011

5 navires et 14 marées ont été échantillonnés, ce qui correspond à 15% des marées totales des chalutiers profonds opérant en Ouest Ecosse, au nombre total de 11 navires en 2011.

Taux de rejet : 20,8%

Capture totale : 4343 tonnes

Débarquements : 3441 tonnes

Rejets : 902 tonnes

98 espèces ont été attrapées dans l’année. Le document précise « espèces ou taxons » car les observateurs ne sont pas nécessairement taxonomistes ou biologistes et sont de ce fait parfois incapables d’identifier les espèces avec certitude. Cela signifie que le nombre d’espèces peut être plus important que 98.

Pour l’année 2012

4 navires et 16 marées ont été échantillonnés, ce qui correspond à 15% des marées totales des chalutiers profonds opérant en Ouest Ecosse. Le nombre total de navires n’est pas indiqué pour 2012, sans que l’on sache pourquoi.

Taux de rejet : 19,4%

Capture totale : 3938 tonnes

Débarquements : 3173 tonnes

Rejets : 764 tonnes

 

►   Une centaine d’espèces capturées accidentellement

99 espèces ont été attrapées en 2012. Le document précise de nouveau « espèces ou taxons », ce qui implique que le nombre d’espèces peut être plus important que 99.

12 espèces parmi ces 99 représentent 90% des captures en volume. De nombreuses espèces (62) représentent un très faible volume des captures (moins de 1%).

Une centaine d’espèces : pas « important » pour l’Ifremer ?

Les auteurs du rapport (dont le très controversé rapporteur de la « mission pêche profonde » du Grenelle de la Mer Alain Biseau, voir la note des ONG à ce sujet) cherchent à minimiser l’impact de ce chiffre très élevé en écrivant en conclusion de leur document qu’une centaine d’espèces inventoriées dans les captures sur l’année « peut paraître important ».

Cela ne « paraît » pas important. Ca l’est.

La démonstration qui suit est fallacieuse et inquiétante venant d’un Institut supposé travailler sur la biodiversité marine, et pas uniquement sur la productivité des pêches.

  • Les auteurs avancent qu’une centaine d’espèces est « du même ordre » que celui estimé pour les pêcheries chalutières non profondes avec 115 espèces capturées ou pour les fileyeurs (90 espèces capturées).

Comparer des pêcheries de surface avec des activités en profondeur n’a aucun sens. Les espèces capturées par les chaluts profonds sont globalement totalement méconnues et caractérisées par une longévité importante, une fécondité faible, une reproduction tardive et une croissance lente, à l’inverse des espèces de surface.

Sur cette centaine d’espèces, plusieurs sont déjà menacées d’extinction et de nombreuses autres ne sont pas évaluées.

Le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) a calculé par exemple que parmi les  54 espèces d’eaux profondes incluses dans la proposition de la Commission :

–        21 espèces sont considérées comme épuisées ou en risque d’épuisement

–        Le statut de 26 autres espèces est totalement inconnu, car elles n’ont jamais été évaluées

–        5 espèces ont un ou plusieurs stocks qui sont dans un état stable ou légèrement négatif

–        4 espèces ont un ou plusieurs stocks qui sont dans un état inconnu, en raison d’un manque de données

–        3 espèces ont un ou plusieurs stocks qui sont considérés comme étant en bon état

C’est à ces trois dernières espèces que l’Ifremer semble limiter son point de vue.

  • Les auteurs insinuent que le fait que cette centaine d’espèces soit capturée « occasionnellement et en très petites quantités » (p12) rend leur capture acceptable. Ils comparent les volumes de captures d’espèces qui sont naturellement rares dans la composition des communautés de poissons (en raison de leurs caractéristiques biologiques –  les requins profonds par exemple se reproduisent rarement et ont des portées de 8 à 15 petits) à des espèces beaucoup plus productives, devenues de ce fait des cibles commerciales. Suggérer, en conclusion, de relativiser la gravité des captures d’espèces accidentelles, y compris d’espèces menacées, par le biais d’une comparaison entre des valeurs incomparables (les faibles volumes capturés de prises accessoires et les volumes très importants des prises commerciales) est l’aveu d’une profonde méconnaissance des équilibres écosystémiques et de la composition des communautés de poissons.

En outre, le fait que les prises de requins soient devenues si faibles dans les captures est un signe très inquiétant pour l’état de santé de leur population. Le CIEM écrit dans un avis rendu à l’organisation régionale des pêches « CPANE » (Commission des pêches de l’Atlantique du Nord-Est) en octobre 2012[4] que les débarquements de requins ont décliné en raison « d’une réduction de l’abondance »[5], pas uniquement en raison des mesures de gestion. En outre, pour 14 espèces de requins sur les 17 qu’ils ont tenté d’évaluer, ils écrivent que les données sont insuffisantes pour permettre une évaluation du stock[6].

  • Les auteurs de ce rapport reprennent l’argument maintes fois entendu de la part des industriels au cours du processus de réforme du règlement pêche profonde : « Le nombre d’espèces capturées par trait de chalut est de 15 en moyenne (30 au maximum) ». Cette phrase qui semble atténuer la réalité du nombre d’espèces capturées ne l’atténue en rien puisqu’il y a bien une centaine d’espèces capturées en 2012. Il va sans dire que chaque trait de chalut ne capture pas une centaine d’espèces car si tel était le cas, l’extrapolation sur l’année impliquerait la capture de près de 700 espèces différentes.

►   Des espèces menacées d’extinction dans les prises

Parmi les espèces capturées en faible proportion des volumes totaux, on trouve de nombreuses espèces de requins menacées d’extinction.

Le volume total de requins profonds capturés est très important : en 2012, ils représentent près de 6% des captures totales des chalutiers profonds français et plus de 30% des rejets totaux (voir tableau ci-dessous).

232 770 kilos de requins profonds, interdits de capture et de débarquement, comprenant une majorité d’espèces menacées d’extinction, ont été capturés et rejetés morts par-dessus bord par les navires français opérant en eaux profondes.

Ce chiffre est très élevé pour des espèces dont les populations se sont effondrées en un temps record.

Sur les 13 espèces de requins pour lesquelles des données sont disponibles, 11 ont un statut UICN qui les place dans une zone à risque d’extinction, soit 85% des espèces de requins capturées. Seules deux espèces sont dans la catégorie « données insuffisantes », qui ne signifie pas que les espèces se portent bien (voir le pictogramme de l’UICN ci-dessous).

LISTE DES REQUINS CAPTURES PAR LES CHALUTIERS FRANÇAIS EN 2012

Liste des requins capturés par les chalutiers français en 2012

Tableau réalisé avec les données de l’Ifremer, de Shark Trust, de l’UICN et du CIEM[1]

Catégories de la liste rouge des espèces établie par l’UICN[2] :

[1] Analyse de l’activité de chalutage de fond au-delà de l’isobathe 200 mètres de 2010 à 2012. Patrick Berthou, Eric Bégot, Alain Biseau. Avril 2014.

Analyse des captures du métier « chalutiers à espèces profondes en Ouest Ecosse ». Anne-Sophie Cornou, Alain Biseau. Mars 2014.

[2] « A l’échelle de la France, 400 navires, petits et grands, sont visés par la proposition de règlement de la Commission, selon le Comité National des Pêches. » Sea to Sea, 21 novembre 2013.

[3] Centrophorus squamosus est une espèce vulnérable au niveau global et en danger critique d’extinction dans l’Atlantique Nord-Est. En 2012, le squale chagrin de l’Atlantique représente 1,65% des captures totales des navires échantillonnées et 8,51% des rejets, ce qui en fait la 10ème espèce la plus capturée en volume et la 3ème espèce la plus rejetée après l’alépocéphale de Baird et la grande argentine.

[4] Special  request,  Advice  October  2012 – 9.3.2.3  – NEAFC  Special  request  on  the  catch  and  status  of  deep-­water  sharks  in   the  Northeast  Atlantic.

[5] « Landings   have   declined   in   response   to   reduced   abundance   and   restrictive   management   measures  (e.g.  TAC  =  0  from  2010  onwards). »

[6] « There  is  insufficient  data  to  provide  an  assessment  on  the  status  of  this  stock. »

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