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01 février 2016

Le projet de loi Biodiversité mangé à la sauce Sénat

“Les lois sont comme les saucisses. C’est mieux de ne pas voir leur préparation.” Otto von Bismarck

Étapes et procédure du projet de loi Biodiversité

Le Sénat a examiné du 19 au 22 janvier, en première lecture, le projet de « Loi Biodiversité » (de son nom complet « Projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages »). La loi comportant 73 articles et 674 propositions d’amendements a été débattue par un hémicycle dépeuplé : nous avons comptabilisé 23 sénateurs présents sur 348 le jeudi 21 janvier au soir !*

Le chapitre III du projet de loi portait sur le milieu marin. Dix articles (37 à 46) balayaient des questions aussi larges que la présence renforcée du comité des pêches dans la gestion des aires marines protégées (art. 38), la création de « zones de conservation halieutique » (art. 43)  et l’étiquetage des huîtres génétiquement modifiées (« huîtres triploïdes » à distinguer des huîtres issues des élevages traditionnels, art. 46 ter). L’interdiction du chalutage profond (art. 56) était incluse dans le chapitre V relatif aux sanctions en matière d’environnement et a donné lieu à des prises de parole musclées et à des plaidoyers vibrants de la part de la Ministre de l’Écologie Ségolène Royal et du rapporteur Jérôme Bignon.

Le projet de loi faisait l’objet d’une consultation citoyenne, via le site « Parlement & citoyens », sur lequel il était possible de déposer des amendements et de les soumettre au vote citoyen.

BLOOM A PROPOSÉ LES 5 AMENDEMENTS SUIVANTS, arrivés en tête du classement des amendements les plus populaires auprès des citoyens :

  1. Interdiction du chalutage profond au-delà de 600 mètres de profondeur

  2. Obligation pour les entreprises et les pouvoirs publics de communiquer les données relatives à l’environnement

  3. Suppression des aides publiques dommageables à l’environnement marin

  4. Obligation d’étiquetage mentionnant « la pêche de cette espèce a pu engendrer la capture d’une ou plusieurs espèces menacées d’extinction »

  5. Interdiction de la capture et la commercialisation d’espèces marines menacées d’extinction

UNE CONSULTATION CITOYENNE AUX RÉSULTATS DÉCEVANTS

 

La consultation citoyenne assurait-elle que les amendements ayant remporté le plus de suffrages soient discutés en séance ? Non. Il fallait en réalité doubler cette initiative d’un lobbying on ne peut plus classique auprès des sénateurs pour qu’ils reprennent à leur compte certains amendements, et qu’ils les déposent. Passé un certain délai, seuls le rapporteur du projet de loi, le Républicain Jérôme Bignon, et la Ministre de l’Écologie, Mme Ségolène Royal, avaient le pouvoir de proposer des amendements de dernière minute jusqu’en séance.

Or M. Bignon et Mme Royal n’ont repris aucun des amendements de BLOOM à leur compte, malgré leur succès citoyen. Ils n’en ont même pas mentionné l’existence au cours du débat. C’est une déception amère sur la présumée « démocratie directe participative » qui commencerait à poindre en France mais dont nous sommes encore loin…

NÉANMOINS…

1. Les amendements de BLOOM ont été repérés par d’autres élus et le projet de loi Biodiversité part désormais en deuxième lecture à l’Assemblée nationale (un petit rappel de la procédure ici).

2. La Ministre de l’Ecologie Mme Royal s’est engagée à répondre aux citoyens s’étant exprimés directement. Elle aura peut-être une proposition à nous faire vis-à-vis de nos amendements en vue de la seconde lecture du projet de loi Biodiversité.

3. Quatre des cinq amendements de BLOOM ont été déposés par des députés en vue de la première lecture à l’Assemblée de la proposition de loi « Economie Bleue ». Malheureusement, aucun n’a été adopté. L’ensemble des prises de parole à l’Assemblée donnait une idée claire du lobbying systématique fait auprès des députés par les grands lobbies industriels.

Il est évident que tant que la Constitution ne changera pas, les citoyens n’auront aucun moyen de se faire entendre directement (à part via la procédure extravagante et totalement anti-démocratique du supposé « référendum d’initiative populaire », voir les explications du Huff Post). Cependant, la plateforme Parlement & citoyens peut servir de baromètre aux élus pour leur indiquer les amendements les plus soutenus par les citoyens ou encore de vivier où puiser des idées nouvelles si tant est que la plateforme s’impose en notoriété auprès des élus. Le système de consultation citoyenne n’en est qu’à ses balbutiements en France, il est donc crucial de continuer à y participer.

Quelles avancées ou quelles déceptions pour le volet marin du projet de Loi Biodiversité ?

LES POINTS POSITIFS

CRÉATION DE ZONES DE CONSERVATION HALIEUTIQUE (ZCH)

L’objectif de l’article 43 est de protéger les zones fonctionnelles telles que les frayères, les nourriceries et les couloirs de migration en créant des protections localisées de la ressource. Le classement pourra concerner un espace en mer situé entre 0 et 12 milles marins des côtes ainsi qu’une zone fluviale jusqu’à la limite de salure des eaux (délimitation des eaux fluviales et des eaux marines). Aucune aire marine protégée ne permet actuellement la protection intégrée de ces zones. Ces ZCH visent à permettre aux autorités de l’État « d’interdire ou de réglementer les activités portant atteinte ou susceptibles de porter atteinte au bon état des zones fonctionnelles des ressources halieutiques ». Le classement des sites se fera par décret.

PROGRAMME D’ACTION DE PROTECTION DES MANGROVES ET DES RÉCIFS CORALLIENS

L’article 51 ter A fixe deux objectifs de l’État :

  • Élaborer et mettre en œuvre un programme d’actions de protection de 55 000 hectares de mangroves d’ici à 2020 (dont 50 000 ha en Guyane).
  • Élaborer un plan d’action contribuant à protéger 75 % des récifs coralliens dans les outre-mer français d’ici à 2021.

Cet article fait suite aux discussions engagées par la France lors de la COP21. Ces dernières années, les mangroves et les récifs coralliens ont en été très durement touchés par les activité anthropiques directes (industrie minière, agriculture, déforestation, pêches destructrices…) et indirectes (réchauffement climatique). La restauration et la préservation de ces écosystèmes fragiles doit permettre d’en préserver la biodiversité et de combattre les conséquences du réchauffement climatique (les mangroves constituent par exemple des remparts naturels contre les ouragans et les tsunamis).

Pour Ségolène Royal, ces plans d’actions sont également une façon de soutenir la « croissance bleue » en encourageant les entreprises du génie écologique à progresser et à innover dans le domaine de réparation des écosystèmes dégradés. Voir notre actu sur les dangers d’un tel modèle.

LES POINTS NEGATIFS

DES RÉSERVES NATURELLES GÉRÉES PAR DES PROFESSIONNELS DE LA PÊCHE

Le second article du chapitre III (art. 38) de la Loi Biodiversité vise à permettre aux comités régionaux des pêches d’être « associés à » ou de se voir « confier la gestion » d’une réserve naturelle si celle-ci comprend une partie maritime.[1]

Odette Herviaux, sénatrice du Morbihan (Parti Socialiste) ainsi que d’autres sénateurs tels que Karine Claireaux (sénatrice de Saint-Pierre-et-Miquelon, parti Socialistes et républicains) ont déposé des amendements visant à confier au comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) plutôt qu’à un simple comité régional la gestion d’une réserve naturelle si celle-ci s’étend sur plusieurs régions.

À l’opposé, d’autres sénateurs tels que M. Hervé Poher (Socialistes et Républicains) ou encore Joël Labbé (Groupe Écologiste) ont déposé des amendements visant non pas à élargir mais à limiter la portée de l’article 38 en expliquant que 1) les réserves naturelles possèdent déjà un comité consultatif de gestion réunissant un panel d’acteurs (élus locaux, associations, usagers, etc) et auquel les représentants des comités régionaux des pêches font déjà (à juste titre) partie. Ils sont donc déjà associés à la gestion des réserves. Tout renforcement de leur rôle impliquerait leur sur-représentativité et un déséquilibre des pouvoirs aux dépens des autres parties prenantes. Cela pose d’autant plus problème que les comités régionaux des pêches sont des organismes à visées professionnelles et économiques. Leur confier une partie de la gestion des réserves marines relève du conflit d’intérêts. Sans compter que leur déléguer la gestion de la totalité d’une réserve implique la gestion de la flore et de la faune terrestres telles que les populations de chauves-souris et d’oiseaux, ce qui est incohérent pour des professionnels de la pêche.

Le gouvernement, représenté par la Ministre de l’Écologie Ségolène Royal ainsi que la commission du développement durable, représentée par le rapporteur du projet de loi Jérôme Bignon, ont tous les deux voté en faveur de cet article 38 tel qu’il était présenté et se sont prononcés favorables aux amendements visant à étendre la gestion de ces réserves au Comité national des pêches. La Ministre de l’Écologie Ségolène Royal n’a d’ailleurs cité qu’un acteur dans son argumentaire : Gérard Romiti, président du Comité national des pêches maritimes. M. Bignon, quant à lui, a mentionné qu’en vue de l’examen de la Loi Biodiversité, il avait été sollicité par une centaine de groupes impliqués dans ces questions mais qu’il avait choisi de ne rencontrer qu’Hubert Carré, directeur du Comité National des pêches. Voir ses déclarations.

REJET DE L’INTERDICTION DE LA CAPTURE ET DE L’IMPORTATION DE CÉTACÉS À DES FINS DE DRESSAGE RÉCRÉATIF

Le plaidoyer précis et passionné de la sénatrice Marie-Christine Blandin (Groupe Écologistes) n’aura pas suffi :  l’amendement no357 proposant l’interdiction de la capture des cétacés a été rejeté. Le gouvernement s’était lui-même prononcé contre cette interdiction. Ségolène Royal a même décidé d’accorder tout son soutien au parc zoologique Beauval. Les dirigeants de ce parc désirent en effet importer des dauphins capturés en milieu sauvage afin de créer un delfinarium. Cela ne leur aurait pas été permis si l’amendement avait été adopté.

PAS DE STATUT JURIDIQUE POUR LES SANCTUAIRES MARINS

L’amendement no223 visait à permettre la création de sanctuaires marins dans les eaux sous juridiction nationale, avec un conseil et un plan de gestion associés. Cela aurait permis d’attribuer au sanctuaire Pelagos, en Méditerranée, et au sanctuaire Agoa, dans les Antilles françaises un statut juridique. La Commission Développement durable a cependant exprimé un avis défavorable à cet amendement : ces deux sanctuaires ne concernent pas que la France mais également d’autres pays ou Etats indépendants. De telles mesures ne peuvent donc être prises au niveau français, cela doit se faire en accord avec les autres parties prenantes. L’amendement a finalement été rejeté : la création de sanctuaires ne sera pas autorisée. Cet amendement était un « amendement d’appel » visant avant tout à interpeller le gouvernement sur les dangers de collision avec les navires de guerre, de commerce ou de pêche auxquels font face les cétacés. L’objectif paraît atteint puisque le gouvernement a promis d’étudier sérieusement ce problème dans un futur proche. 

Carte du sanctuaire Pelagos

Carte du sanctuaire Agoa (144 000 km2)

[1] L’organisation professionnelle des pêches en France est composée des organisations de producteurs et des Comités des pêches, au niveau national et régional. Ces comités représentent et défendent les intérêts du secteur de la pêche. http://halieutique.agrocampus-ouest.fr/pdf/4623.pdf

Liens et réferences

Accès au dossier législatif complet du projet de Loi Biodiversité

Analyse et vidéos de la discussion sur l’article 56 (interdiction du chalutage en eaux profondes)

* Est-ce pour cette raison que la caméra retransmettant le débat en direct évitait soigneusement les plans larges ?

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